Love Letters

Theodora Barna

Club ASAP 01
mars 2023

Temps de lecture : 6 min

L’histoire de l’architecture est forgée par des traités théoriques. Elles formalisent des convictions, transformées en architecture par la construction. Mais qu’est-ce qu’il se passe lorsque les architectes s’emparent des textes, qui n’ont pas l’ambition de porter avant un discours théorique, pour nourrir une idée de l’architecture ?
Nombreux sont les exemples d’inspiration littéraire, mais qui restent pour la plupart anecdotiques. Le récit qui s’en suit est celui d’une correspondance, vielle de deux millénaires, qui a cependant joué un rôle majeur dans le développement d’un modèle architectural : la villa.

Michelozzo, Villa Medici à Fiesole, 1451-1457

Lorsque la famille de Médicis montât au pouvoir à l’aube de la Renaissance, elle comprit aussitôt que pour gouverner durablement, elle devait interroger son rapport au pouvoir. L’image datée du despote qui ordonne avec un bras de fer était vite écartée pour faire place à celle d’un dirigeant savant.
Cosme l’Ancien s’empara de l’humanisme et s’inspira des civilisations antiques, notamment celle gréco-latine. Cependant, gouverner comme les antiques sous tendait vivre comme eux, puisque leurs philosophies se pratiquaient par la marche, l’échange, et le débat.
Il s’en suit la nécessité de bâtir le cadre pour nourrir ce mode de vie.

Bartolino Ploti de Novare, Castello estense, 1385

Les ruines des villes antiques étant enfuies sous terre, personne ne savait à quoi ressemblaient les demeures de leurs maîtres. Les dirigeants érudits étaient pourtant familiers avec les textes antiques, certaines comportant des descriptions détaillées des maisons.
Dans plusieurs lettres, Pline le Jeune fait le tour de ses deux maisons de villégiature, tout en vantant les bienfaits de ses refuges : la villa au bord de la mer aux pays de Laurentins, et celle dans la montagne en Toscane.
Lorsque le fils cadet de Cosme l’Ancien, Giovanni di Cosimo, érigea la villa Medici à Fiesole, il s’inspira de ces récits.

Le résultat est une villa amplement ouverte sur le paysage, mais qui ressemble peu dans son organisation spatiale et son écriture à une demeure antique. Elle marque pourtant le décloisonnement des forteresses médiévales dans la quête de cet idéal méconnu, et le début d’une recherche qui s’en suivra pendant des siècles.
Les architectes s’emparent de ces lettres, comme d’autres écrits antiques, comme point d’accroche pour explorer nombre de thèmes : celui de la façade, de l’atrium, des galeries, et de l’entrée pour en citer quelques-unes. Dans un effort de formalisation de ces idées, Scamozzi traduira les descriptions de Pline le Jeune en plan dans l’Idea dell’Archittetura Universale (1615).

Plan de la villa Toscane type par :
en haut, Winefield
en bas, Tanzer

Contrairement aux traités et publications connus, dont la plupart analytiques et prospectifs, ces lettres influenceront l’histoire de l’architecture en dépit d’une vocation théorique.
Il s’agit essentiellement des descriptions, qui sont cependant en partie à l’origine du modèle de la villa italienne, un type universel qui sera par subséquent exporté partout dans le monde.

Raphaël, Villa Madama, 1518

L’efficacité de ces lettres s’explique par le fait qu’elles étaient mobilisées pour traduire un besoin inatteignable par la construction seule : celui d’incarner la pensée humaniste par l’architecture.
Cet exemple ne cherche pas à remettre en cause l’utilité des textes de théorie et de critique architecturale, mais à souligner un aspect essentiel de la théorie. Elle est avant tout une pensée et pas simplement un objet ou un produit.

Antonio da Sangallo le Jeune, Palais Sacchetti, 1542

Raphaël, Francesco Penni, Giovanni Da Udine, Raffaellino del Colle & Giuglio Romano, Loggia de la villa farnesina, 1513-1514

Antonio da Sangallo le Jeune, Villa Poggio à Caiano, 1485-1495

Vignole, Ammannati, Vasari & Michel-Ange, Villa Giuglia, 1551

Antonio da Sangallo le Jeune, Palais Sacchetti, 1542

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